Révolution sur le champ de bataille: Pourquoi l’Europe doit miser sur les drones et l’Intelligence Artificielle

Alors que certains pays investissent dans des chasseurs F-35 à près de 100 millions de dollars l’unité, d’autres misent sur des milliers de drones à moins de 500 euros pièce. Sur le front ukrainien, ces petits engins pilotés à distance, parfois appelés « drones FPV kamikazes », ont déjà causé des milliards d’euros de dégâts à l’armée russe, détruisant des bombardiers ou des chasseurs pour une fraction de leur coût initial. Cette évolution spectaculaire du champ de bataille illustre un basculement stratégique. L’efficacité opérationnelle ne dépend plus seulement de la puissance de feu traditionnelle, mais de la capacité à innover et à s’adapter rapidement aux nouvelles technologies.

La combinaison intelligente de deux approches – avions de chasse et bombardiers d’un côté, groupes de drones autonomes et kamikazes de l’autre – offre une synergie décisive face à un adversaire technologiquement avancé. En misant sur l’équilibre entre puissance aérienne classique et nouvelles technologies avec des solutions évolutives et innovantes, il devient possible de renforcer durablement la résilience et la supériorité opérationnelle face à tout ennemi potentiel, tout en optimisant les dépenses de défense.

En Ukraine, l’usage massif de drones bon marché, capables de frapper avec précision des cibles tant matérielles qu’humaines, a bouleversé les équilibres militaires. Ces appareils, souvent assemblés à partir de composants civils, peuvent être déployés en vagues, saturant les défenses adverses et rendant obsolètes certains systèmes antiaériens conçus pour des menaces plus classiques. 

Des investissements colossaux dans l’aviation de chasse peuvent être réduits à néant par une poignée de drones low-cost, pilotés à distance ou dotés d’intelligence artificielle. L’attaque inédite et coordonnée de drones ukrainiens le 1er juin 2025 contre plusieurs bases aériennes russes a détruit 41 avions militaires russes dont 11 bombardiers stratégiques et ce, avec seulement 117 drones kamikazes FPV dont le coût est estimé à 500 euros pièces.

Selon des analyses récentes, jusqu’à 70 % des pertes matérielles russes sur le front ukrainien seraient désormais causées par des drones d’attaque, qu’il s’agisse de drones kamikazes ou de drones lanceurs de grenades. Si le chiffre exact des pertes humaines imputables à ces appareils reste difficile à établir, leur rôle central dans la neutralisation des soldats russes ne fait plus de doute.

L’intégration de l’IA dans les systèmes embarqués de drones marque une nouvelle étape dans cette révolution militaire. Désormais, des drones autonomes sont capables de détecter, d’identifier et d’engager des cibles sans intervention humaine directe, opérant même en cas de brouillage électronique ou en essaims coordonnés. Cette automatisation accélère la prise de décision sur le champ de bataille, réduit les délais d’intervention et augmente la précision des frappes, tout en limitant les risques pour les soldats.


En Europe

Face à ces mutations, l’Europe doit impérativement repenser sa politique de défense. Si des efforts sont engagés pour harmoniser la réglementation et stimuler la production de drones sur le continent, la fragmentation des investissements et la dépendance à des fournisseurs extérieurs freinent encore l’émergence d’une véritable autonomie stratégique. 

L’Union européenne a adopté la « Stratégie Drone 2.0 » en novembre 2022, avec pour objectif de structurer un marché européen des drones à grande échelle, tout en renforçant la sécurité, la souveraineté technologique et la résilience face aux menaces émergentes, notamment celles liées à l’usage malveillant des drones, mais il reste urgent d’accélérer la mutualisation des moyens, l’innovation et l’intégration de l’IA dans les armées européennes.

La supériorité militaire de demain ne se jouera plus uniquement dans la maîtrise des airs ou la possession de matériels lourds, mais dans la capacité à intégrer l’intelligence artificielle et la robotique au cœur des stratégies de défense. Ces technologies bouleversent déjà le champ de bataille, elles permettent une prise de décision rapide grâce à l’analyse automatisée de vastes quantités de données issues de drones, satellites et capteurs, offrant ainsi un avantage décisif en matière de ciblage, de commandement et de contrôle.

Les systèmes autonomes, qu’il s’agisse de drones, de véhicules terrestres ou de plateformes navales, peuvent mener des missions complexes sans exposer les soldats, réduisant ainsi les pertes humaines et augmentant la résilience des forces armées.

Pour garantir la sécurité du continent, l’Europe doit investir massivement dans la recherche, l’innovation et l’intégration de l’IA et de la robotique dans ses capacités de défense. Cela passe par une meilleure coordination entre États membres, une mutualisation des ressources et une accélération de l’adoption de technologies duales, issues à la fois du civil et du militaire. L’efficacité des dépenses de défense sera ainsi maximisée.

La synergie entre drones et avions de combat, notamment grâce à l’intégration de l’intelligence artificielle et à la mise en place de réseaux tactiques partagés (« cloud de combat »), permet d’accroître la résilience, la rapidité de réaction et la précision des opérations. Cette approche hybride réduit l’exposition des pilotes, limite les pertes humaines et optimise les coûts en réservant l’emploi des équipements les plus onéreux aux missions où ils sont indispensables. Ainsi, la défense devient plus agile, adaptative et robuste, capable de faire face à des menaces variées et à des environnements de guerre de haute intensité.

En adoptant cette stratégie, l’Europe pourra répondre plus rapidement aux crises, tout en maîtrisant ses budgets et en évitant la fragmentation des efforts. C’est cette transformation qui permettra à l’Europe de devenir maîtresse de sa sécurité et de son autonomie stratégique dans un contexte international de plus en plus incertain.

Alain Schenkels