Le génocide des Héréros et des Namas : la première extermination du XXe siècle
Par Alain Schenkels

Aujourd’hui la Namibie, cette région fut colonisée par l’Allemagne à partir de 1884. Les Héréros et les Namas, deux peuples éleveurs, étaient alors les principales populations autochtones du territoire. L’arrivée massive de colons allemands, la confiscation des terres, la spoliation du bétail et la découverte de diamants ont accentué les tensions et la dépossession des populations locales.
Le 12 janvier 1904, excédés par les abus coloniaux et la perte de leurs terres, les Héréros, sous la direction de Samuel Maharero, se soulèvent et attaquent une garnison allemande à Okahandja. L’Allemagne envoie le général Lothar von Trotha avec 10 000 soldats. Celui-ci adopte une politique de répression extrême, marquée par l’ordre d’extermination du 2 octobre 1904, visant à éliminer les Héréros sans distinction d’âge ou de sexe.
Face à la brutalité allemande, les Namas, menés notamment par Hendrik Witbooi, prennent les armes à leur tour. Ils mènent une guérilla contre l’armée allemande, utilisant leur connaissance du terrain pour résister. Les Namas subissent le même sort que les Héréros, avec des massacres, des déportations et l’internement dans des camps de concentration tels que Shark Island, où beaucoup meurent de faim, de maladies et de mauvais traitements.
Exécutions de masse, déportations, camps de concentration, famine, soif, travail forcé, et expérimentations pseudo-scientifiques (envoi de crânes en Allemagne pour des recherches raciales).
« Les Héréros sont parqués comme des animaux, derrière des fils de fer barbelés renforcés, et entassés par groupe de cinquante, sans distinction d’âge ni de sexe, dans de misérables cahutes… Ils tombent morts par centaines, et leurs corps sont brûlés, sur place. »
— Friedrich Vedder, missionnaire allemand
Avant 1904, la population de Héréros comptait approximativement de 80 000 personnes, 65 000 furent assassinées, soit 80% de la population. Les Namas quant à eux comptaient 20 000 personnes, la moitié furent tués. Côté allemand, seuls 676 soldats sont tués, 76 disparus, mais 689 soldats sont morts de maladie à cause des conditions sanitaires difficiles dans la région, soit un total de 1 441 morts côté allemand, mais c’était des soldats, alors que face à eux, c’était des victimes civiles innocentes.
Le génocide des Héréros et des Namas reste un sujet de mémoire vive en Namibie et en Allemagne. Des discussions sur la restitution des terres et des réparations sont toujours en cours. Ce génocide colonial, longtemps occulté, est désormais considéré comme un événement fondateur de la mémoire des violences du XXe siècle en Afrique et dans le monde.
Le 10 juillet 2015 le gouvernement allemand, par la voix de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a pour la première fois reconnu publiquement que les massacres commis contre les Héréros et les Namas entre 1904 et 1908 pouvaient être qualifiés de « génocide » selon la définition actuelle du terme, mais la reconnaissance officielle, avec une déclaration politique formelle, a eu lieu le 28 mai 2021.
Ce massacre est aujourd’hui reconnu comme le premier génocide du XXe siècle
L’impact du génocide sur la société namibienne

Les conséquences du génocide des Héréros et des Namas continuent de marquer la société namibienne contemporaine. La perte massive de vies, la dépossession des terres et l’effondrement des structures sociales traditionnelles ont laissé des cicatrices profondes. Les descendants des victimes vivent encore aujourd’hui avec le traumatisme de cette histoire, et beaucoup réclament la restitution de terres spoliées ainsi que la reconnaissance de leurs droits culturels et politiques.
La question des réparations et la mémoire du génocide
Après des décennies de silence et de négociations, l’Allemagne a reconnu en 2021 sa responsabilité dans ce génocide et s’est engagée à verser plus d’un milliard d’euros sur trente ans pour financer des projets de développement en Namibie. Cependant, cet accord est contesté par de nombreux représentants Héréros et Namas, qui estiment que les réparations ne sont pas à la hauteur du préjudice subi et que l’aide promise ne constitue pas une véritable réparation, mais une aide au développement. La société civile namibienne réclame une implication directe des communautés concernées dans les discussions et une reconnaissance plus forte du caractère réparateur des mesures prises.
La restitution des restes humains et des objets culturels
Un autre volet important de la mémoire du génocide concerne la restitution des restes humains et des objets culturels emportés en Allemagne à des fins de recherches pseudo-scientifiques. Depuis 2011, plusieurs cérémonies officielles ont eu lieu pour rapatrier des crânes et des ossements de victimes, symbolisant une étape vers la reconnaissance des souffrances endurées et la réconciliation entre la Namibie et l’Allemagne. Ces restitutions sont perçues comme un geste fort, mais insuffisant par les familles et les communautés touchées, qui attendent des actes concrets en matière de justice et de réparation.
Longtemps ignoré dans les récits historiques européens, le génocide des Héréros et des Namas est aujourd’hui étudié comme un événement fondateur de la mémoire des violences coloniales. Il est considéré par de nombreux historiens comme un laboratoire des méthodes répressives qui seront utilisées plus tard au XXe siècle. Ce travail de mémoire, encore en cours, alimente les débats sur la reconnaissance des crimes coloniaux, la justice transitionnelle et la nécessité de repenser les relations entre l’Europe et l’Afrique à l’aune de leur passé commun.
Les discussions autour de ce génocide dépassent le cadre namibien. Elles se font poser des questions sur la manière dont les sociétés affrontent les crimes du passé, la place des réparations dans la réconciliation, et la responsabilité des anciennes puissances coloniales. La reconnaissance du génocide par l’Allemagne a ouvert la voie à des débats similaires dans d’autres anciennes colonies, soulignant l’importance de la justice historique et de la mémoire dans la construction des sociétés post-coloniales.
Commémorations et cérémonies collectives
Depuis 2025, la Namibie a instauré une journée nationale de commémoration, le 28 mai, en hommage aux victimes du génocide. Cette date, désormais fériée, donne lieu à des veillées aux chandelles, des minutes de silence et des rassemblements dans des lieux symboliques comme les jardins du Parlement à Windhoek. Ces cérémonies sont destinées à entretenir la mémoire collective et à favoriser un processus de guérison nationale
Les communautés Héréros et Namas organisent régulièrement des rassemblements sur des sites historiques, tels que Ozombu Zovindimba, lieu d’extermination, ou d’autres endroits marqués par les massacres. Ces rassemblements incluent des prières, des discours et des rites traditionnels pour honorer les ancêtres et transmettre l’histoire aux jeunes générations.
Par Alain Schenkels
