Des mises en scène macabres pour la propagande
Tous les belligérants ont utilisé des cadavres ennemis à des fins de propagande pendant la Seconde Guerre mondiale. Voici trois exemples : un soldat Américain abattu au Japon ; un soldat Allemand abattu en France et un soldat Japonais abattu au Japon. La similitude de ces trois hommes est frappante, l’ennemi a ouvert ou soulever leurs chemises pour les photographier avec la peau du torse bien visible.
La Seconde Guerre mondiale a été un conflit où la propagande a joué un rôle crucial, et l’utilisation de photographies de cadavres ennemis en faisait partie intégrante. Bien qu’il faille noter que de telles images étaient souvent censurées ou manipulées à des fins de propagande, elles ont été utilisées par les différentes parties belligérantes pour atteindre divers objectifs, tels que semer la peur et la confusion parmi les troupes adverses, briser le moral des soldats en leur rappelant brutalement la réalité de la guerre et les conséquences de leurs actions.
Ces photographies pouvaient aussi être utilisées pour galvaniser le soutien de la population à l’effort de guerre et servir à alimenter la haine envers l’ennemi et à justifier les sacrifices consentis, mais aussi à déshumaniser l’adversaire visant à justifier les actions violentes contre lui.
Soldat allemand abattu en France
Ce soldat allemand membre des Waffen-SS a été tué par un soldat américain à Malon en Normandie le 9 juillet 1944. Son corps visible est marqué par les stigmates de la guerre, tandis qu’une cartouchière remplie de balles de mitrailleuse enserre son cou, s’étendant sur le côté de son corps.

Soldat japonais abattu au Japon
Ce soldat japonais a été tué par un soldat américain d’une balle dans le visage.

Soldat américain abattu au Japon
Ce soldat américain a été tué par un soldat Japonais lors de la bataille pour le contrôle de Buna-Gona-Sanananda, qui a eu lieu entre le 16 novembre 1942 et le 22 janvier 1943. Nous remarquons étonnamment l’absence de blessure ou de sang visible sur le cadavre, était-il mal venu au Japon de montrer à ce point les affres de la guerre ?

Ces trois hommes abattus par leurs ennemis respectifs sont photographiés dans des positions similaires, au visage reconnaissable, volontairement déshabillés pour le besoin de la propagande. En exposant la nudité partielle du soldat et en rendant son visage identifiable, la photographie vise à priver l’ennemi de sa dignité et à le présenter dans une posture vulnérable, voire dégradante. Ces images, diffusées dans les magazines illustrés japonais et américains, servaient à galvaniser la population, à justifier la guerre et à présenter l’ennemi comme vaincu et impuissant.
Ouvrir la chemise du soldat n’est pas un geste anodin, il s’agit d’une intervention délibérée du photographe pour obtenir une image plus frappante et exploitable pour la propagande. Le fait de montrer le visage reconnaissable permet de personnaliser la défaite de l’ennemi, de la rendre plus concrète et marquante pour le spectateur. Ces photographies étaient utilisées dans des magazines, des tracts ou des affiches pour renforcer le récit officiel et mobiliser la population autour de l’effort de guerre.
De telles images contribuaient à entretenir un climat de haine et de mépris à l’égard des soldats ennemis, en les présentant comme des adversaires abattus et exposés sans respect, renforçant ainsi aux yeux du public la haine de l’ennemi.
La propagande photographique était un outil de guerre psychologique
Les images de cadavres ennemis étaient soigneusement sélectionnées et diffusées pour influencer l’opinion publique, intimider l’ennemi ou renforcer la cohésion nationale. Les gouvernements contrôlaient souvent la publication de ces clichés, les utilisant pour illustrer la barbarie de l’adversaire ou la justesse de leur propre cause. Ainsi, la propagande visuelle exploitait la mort de l’ennemi pour transformer la perception du conflit, rendant la guerre plus abstraite ou plus légitime aux yeux du public.
Les mises en scène macabres, comme le dévoilement du torse ou du visage, visaient à déshumaniser le soldat tué. Montrer le visage de l’ennemi abattu pouvait servir à rappeler sa mortalité, mais aussi à effrayer ou à démoraliser ceux qui verraient la photo, qu’il s’agisse des civils ou des éventuels soldats encore au front.
Le non-respect des cadavres, une transgression partagée
La manipulation des corps pour la photographie, le déshabillage ou la pose des cadavres dans des positions humiliantes étaient courants, malgré les conventions internationales qui imposaient le respect des morts sur le champ de bataille.
Ce non-respect s’expliquait en partie par la volonté de déshumaniser l’ennemi, mais aussi par le désir de produire des images frappantes pour la propagande. Les soldats eux-mêmes, souvent endurcis par la brutalité des combats, participaient à ces mises en scène, parfois sous la contrainte de leurs supérieurs ou par esprit de revanche. Les photos de cadavres ennemis étaient également échangées comme trophées ou souvenirs, illustrant la banalisation de la violence et la perte de repères moraux dans le contexte extrême de la guerre totale.
L’utilisation de cadavres à des fins de propagande et le non-respect des morts n’étaient pas l’apanage d’un seul camp. Des exemples similaires existent dans toutes les armées impliquées dans le conflit, qu’il s’agisse des Alliés ou de l’Axe. Cette réalité témoigne de la brutalisation des sociétés en guerre et de la puissance des images dans la construction des récits nationaux et de la mémoire collective.
Un paradoxe de la censure et de la propagande photographique américaine
Un aspect frappant de la propagande photographique américaine réside dans la politique de censure appliquée aux images de soldats américains morts. Les autorités américaines, en collaboration avec les grands magazines comme Life, interdisaient strictement la publication de photos montrant les visages des soldats américains tués au combat. Cette mesure était justifiée par le respect dû aux familles et à la mémoire des défunts, mais aussi pour préserver le moral de la population.
Ce respect affiché contraste fortement avec l’attitude adoptée envers les ennemis. Les magazines américains, y compris Life, diffusaient régulièrement des photographies de soldats ennemis morts, souvent au visage parfaitement reconnaissable. Ces images étaient utilisées pour illustrer la victoire, déshumaniser l’ennemi ou renforcer la haine envers l’adversaire. Ainsi, alors que le visage du soldat américain mort était protégé par la censure et la pudeur, celui de l’ennemi devenait un outil de propagande, exposé sans ménagement au public américain.
Ce paradoxe souligne la dimension idéologique de la propagande
Le soldat américain est présenté comme un individu digne de respect, tandis que l’ennemi est réduit à une image, un symbole à instrumentaliser. Cette différence de traitement révèle à la fois la volonté de préserver la cohésion nationale et la capacité de la propagande à franchir les limites de l’éthique lorsqu’il s’agit de diaboliser l’adversaire.
Cette photographie n’aurait pas été manipulée
Le magazine « Life » a publié une photographie montrant un soldat allemand abattu par les Anglais le 31 décembre 1944. L’homme y apparaît dans une pose singulière, mais selon les sources, son corps n’aurait pas été déplacé ou arrangé pour la prise de vue. Le titre provocateur de l’article était : « Artistic pose of the enemy fallen under British bullets », que l’on peut traduire par « pose artistique de l’ennemi tombé sous les balles anglaises ».

La position atypique du corps de ce soldat allemand a attiré l’œil du photographe. La presse américaine a sciemment utilisé cette image, représentant un ennemi tué par les Alliés, pour réduire l’adversaire à une simple figure artistique, déshumanisant ainsi la réalité de la guerre et de l’ennemi.
La pratique de la déshumanisation de l’ennemi par la presse américaine a eu un impact profond sur l’opinion publique pendant la Seconde Guerre mondiale.
Voici les principaux effets observés :
- Mobilisation massive : Les images et articles déshumanisants ont contribué à rallier la population autour de l’effort de guerre, en présentant l’ennemi comme une menace absolue et inhumaine. Cela a facilité l’acceptation des sacrifices demandés aux civils, comme le rationnement, le travail en usine, ou l’engagement militaire
- Justification morale : En présentant l’ennemi sous des traits monstrueux ou ridicules, la presse a permis de justifier moralement la violence et les pertes humaines, rendant l’idée de tuer l’ennemi plus acceptable pour le public
- Création d’un climat d’hostilité : Les caricatures, photographies et reportages insistant sur la dangerosité et la cruauté de l’ennemi ont nourri la peur et la haine, non seulement envers les soldats ennemis, mais aussi envers les populations civiles d’origine allemande, italienne ou japonaise vivant aux États-Unis
- Stigmatisation et discriminations : Cette déshumanisation a facilité l’acceptation de mesures extrêmes, comme l’internement des Américains d’origine japonaise, perçus comme potentiellement traîtres ou inassimilables
La presse a souvent réduit la guerre à une opposition entre le « bien » allié et le « mal » ennemi, rendant toute nuance ou empathie impossible. Cette simplification a permis de maintenir une mobilisation sans faille, mais au prix d’une polarisation extrême de la société. En niant l’humanité de l’ennemi, la presse a contribué à rendre acceptables, voire souhaitables, les atrocités commises contre lui, et à empêcher toute remise en question des actions alliées.
Cette instrumentalisation de l’image de l’ennemi a suscité, après la guerre, des débats sur la responsabilité des médias dans la propagation de la haine et la légitimation de la violence. La déshumanisation orchestrée par la presse américaine a été un puissant levier de mobilisation et de cohésion nationale, mais elle a aussi eu des effets délétères sur la perception de l’ennemi, la cohésion sociale et la mémoire collective.
D’autres photos de soldats américains ont échappé à la censure
Ce soldat américain a été tué par un sniper japonais après avoir poignardé à mort le soldat japonais visible à l’arrière-plan. La particularité de cette photographie réside dans le fait que les Japonais ont délibérément mis en avant à la fois le corps du soldat américain, en soulignant le poignard qu’il tient encore en main, et celui du soldat japonais à l’arrière-plan. L’objectif était de montrer à la population japonaise la « monstruosité » de ce soldat américain, qui venait de tuer leur compatriote combattant pour le Japon.

Ce soldat américain du 34e régiment anti-tank a été tué par des tirs de mortier île de Leyte Philippines le 31 Octobre 1944. Cette photographie a été utilisée pour les besoins de la propagande, censurée elle n’a été publiée aux États-Unis que dans les années ’60 pour le devoir de mémoire.

De nos jours
Dans les conflits actuels, il est courant que des soldats filment les combats à l’aide de caméras GoPro et diffusent ces images sans filtre, montrant aussi bien les ennemis morts que leurs propres camarades. Cette pratique marque une évolution profonde dans la manière de documenter la guerre. Pour les familles, il est particulièrement douloureux de découvrir des photos, voire des vidéos où elles aperçoivent un proche mourir au combat.
L’évolution technologique permet aujourd’hui la diffusion en direct des affrontements par les combattants eux-mêmes. Il arrive même que celui qui filme soit tué en direct, ce qui ajoute une dimension tragique pour les familles. Les armées peuvent tenter d’encadrer légalement ces pratiques, mais l’ennemi ne respecte pas toujours les lois de la guerre. En dehors des armées régulières, il n’existe plus aucun contrôle sur le respect dû aux morts.
Un retour en arrière semble impossible.
Nous vivons désormais dans une société où la technologie permet à chacun de montrer n’importe quel événement en quelques clics. Des plateformes comme Telegram facilitent la publication de ces images. Tant du côté russe qu’ukrainien, de nombreux soldats filment et diffusent leurs victoires. D’une certaine manière, cela rejoint ma philosophie : « La guerre n’est pas belle à voir, mais elle doit être montrée sans filtre pour que personne ne puisse prétendre avoir ignoré la réalité. » La différence aujourd’hui réside dans la couleur et la qualité des images, qui rendent les scènes de guerre encore plus saisissantes, mais qui ne font que refléter la réalité, faut-il la cacher ?
On observe une évolution similaire au cinéma.
Dans « Le Jour le plus long » (1962), de nombreux soldats meurent à l’écran sans qu’une goutte de sang ne soit montrée, alors que trente ans plus tard, « Il faut sauver le soldat Ryan » propose une représentation d’une violence et d’un réalisme inégalés. Cela illustre l’évolution, en bien ou en mal, de notre société face à la représentation de la guerre.
Conclusion
Il est indéniable que l’utilisation de telles photographies à des fins de propagande soulève d’importantes questions éthiques. Quel que soit leur origine ou leur nationalité, ces hommes méritent le respect dans la mort. Cependant, en temps de guerre, ne devrait-on pas accorder davantage d’attention et de respect aux vivants plutôt qu’aux tués ?
Par Alain Schenkels
