Pourquoi le conflit israélo-palestinien obsède-t-il l’Occident ? (Emmanuel Rumy)
Pourquoi le conflit israérlo palestinien obsède t il l'occident emmanuel rumy

Pourquoi ce conflit, et pas le Soudan, le Yémen, la Syrie, l’Arménie ou le Congo ? Parce que ce qui qui fascine l’Europe, ce n’est pas le sort des Palestiniens, mais celui du Juif libéré de son rôle sacrificiel.

Aucun autre conflit, fût-il plus sanglant, plus proche ou plus durable, n’a jamais suscité une telle mobilisation symbolique. Ni les 500 000 morts en Syrie, ni les famines organisées au Yémen, ni les nettoyages ethniques en Afrique. On ne descend pas dans la rue pour les Rohingyas, les Tigréens ou les Kurdes bombardés. Il ne s’agit donc pas d’une réaction morale universelle, mais d’un point de fixation.

Depuis la Shoah, l’histoire a sacralisé la souffrance juive. Elle a assigné au Juif une place d’absolue innocence, encombrante, pesante, presque insoutenable pour la conscience occidentale. Ce trop-plein de mémoire, cette dette morale, l’Occident ne sait pas quoi en faire. On l’honore rituellement, mais on rêve secrètement de s’en délester. Ce conflit captive moins par ses faits que par ce qu’il libère dans la psyché européenne.

La création d’Israël offre une échappatoire inespérée. Un peuple autrefois martyr devient un peuple armé, souverain, faillible. Et dès lors, la mémoire peut être retournée. À l’excès de souffrance juive doit répondre un contre-récit palestinien : c’est la loi morale du balancier. Dès lors, tout se rejoue à travers un mimétisme inversé : – Gaza devient un « ghetto », – les Palestiniens, des « déportés », – Tsahal, une « armée nazie », – et la guerre à Gaza, un « génocide ».

Ce retournement sémantique n’est pas une dérive, c’est une nécessité psychologique et symbolique pour l’Occident. En réassignant le crime à ses anciens objets, elle se libère. Chaque accusation de « génocide » est une tentative de purification par procuration. Chaque mot du lexique de la Shoah appliqué à Israël agit comme une transfusion inversée de culpabilité. On ne dit pas que Gaza est un ghetto parce que c’est vrai, mais parce qu’on a besoin que ce le soit. C’est bien là, l’ultime ironie de l’histoire : l’Occident accuse Israël avec les mots qu’elle a inventés pour décrire ce qu’elle lui a fait.

C’est un rituel laïque d’expiation, où l’on sacrifie l’Israélien pour se laver du Juif. C’est pour cela que ce conflit obsède tant, disproportionnellement. Parce qu’il donne à l’Occident l’occasion rare de se reconstituer une innocence, en renvoyant le Juif à la faute. Parce qu’il parle moins de la Palestine que du besoin occidental de rééquilibrer sa propre histoire morale. L’obsession pour ce conflit est inversément proportionnelle à l’intérêt réel pour les Palestiniens : ce qui importe, c’est le soulagement intérieur qu’il procure.

Emmanuel Rumy

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Alain Schenkels

Présent sur les réseaux sociaux, je rédige très régulièrement des messages ou j'invite le lecteur à des débats pluralistes sur des sujets divers tels que politique et culture.